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28 avril 2010 3 28 /04 /avril /2010 16:43

Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit:
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... - et dont je me souviens!

Gérard de Nerval

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 22:56

Quand Jodelle arriva soufflant encor sa peine,
Le front plein de sueur des restes de la mort,
Quand dis-je, il eut atteint l'Achérontide bord,
Attendant le bateau, il reprit son haleine.

Il trouva l'Achéron plus plaisant que la Seine,
L'Enfer plus que Paris: aussi l'air de ce port,
Quoiqu'il fût plus obscur, ne lui puait si fort
Que lui faisait çà-haut une vie incertaine.

Le Passager le prend au creux de son bateau,
Et Jodelle étonné disait en passant l'eau:
Pourrais-je me noyer, qu'encor un coup je meure.

Pour profiter autant à mon second trépas
Que j'ai fait au premier; mais il ne pouvait pas
Augmenter son bonheur pour changer de demeure.

Théodore Agrippa d'Aubigné

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 22:49

On regarde briller les feux de Port-Saïd,
Comme les Juifs regardaient la Terre Promise;
Car on ne peut débarquer; c'est interdit
- Paraît-il - par la Convention de Venise

À ceux du pavillon jaune de quarantaine.
On n'ira pas à terre calmer ses sens inquiets
Ni faire provision de photos obscènes
Et de cet excellent tabac de Latakieh...

Poète, on eût aimé, pendant la courte escale
Fouler une heure ou deux le sol des Pharaons,
Au lieu d'écouter miss Florence Marshall
Chanter "The Belle of New York" au salon.

Henry Jean-Marie Levet

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 22:43

D'où vient cette tendresse ?
Ces vagues ne sont pas les premières
que j'ai posées tout doucement
sur d'autres lèvres
aussi sombres que les tiennes.

comme les étoiles apparaissent
puis disparaissent
(d'où vient cette tendresse?)
tellement d'yeux sont apparus
puis disparus devant les miens.

aucune chanson dans l'obscurité
de mes nuits passées
(d'où vient cette tendresse?)
ne fut entendue comme présentement
à même les veines du chanteur.

d'où vient cette tendresse?
et qu'en ferais-je, chanteur
jeune et espiègle qui passe
toute personne a les cils
aussi longs que les tiens.

Marina Tsvetaeva

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27 avril 2010 2 27 /04 /avril /2010 22:38

L'hiver a ses plaisirs; et souvent, le dimanche,
Quand un peu de soleil jaunit la terre blanche,
Avec ma cousine on sort se promener...
- Et ne vous faîtes pas attendre pour dîner,

Dit la mère. Et quand on a bien, aux Tuileries,
Vu sous les arbres noirs les toilettes fleuries,
La jeune fille a froid... et vous fait observer
Que le brouillard du soir commence à se lever.

Et l'on revient, parlant du beau jour qu'on regrette,
Qui s'est passé si vite... et de flamme discrète:
Et l'on sent en rentrant, avec grand appétit,
Du bas de l'escalier, - le dindon qui rôtit.

Gérard de Nerval

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26 avril 2010 1 26 /04 /avril /2010 21:53

Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l'airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l'écume.
Le soir d'été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.

Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s'échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s'exhalaient tour à tour
L'agonie et l'amour.

Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l'effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j'entendis les lyres se briser
En criant vers le ciel l'ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m'apparus.

Et l'esprit assoiffé d'éternel, d'impossible,
D'infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d'émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.

Renée Vivien

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26 avril 2010 1 26 /04 /avril /2010 21:48

A la pâle clarté des lampes languissantes,
Sur de profonds coussins tout imprégnés d'odeur
Hippolyte rêvait aux caresses puissantes
Qui levaient le rideau de sa jeune candeur.

Elle cherchait, d'un œil troublé par la tempête,
De sa naïveté le ciel déjà lointain,
Ainsi qu'un voyageur qui retourne la tête
Vers les horizons bleus dépassés le matin.

De ses yeux amortis les paresseuses larmes,
L'air brisé la stupeur, la morne volupté
Ses bras vaincus, jetés comme de vaines armes,
Tout servait, tout parait sa fragile beauté.

Etendue à ses pieds, calme et pleine de joie,
Delphine la couvait avec des yeux ardents,
Comme un animal fort qui surveille une proie,
Après l'avoir d'abord marquée avec les dents.

Beauté forte à genoux devant la beauté frêle,
Superbe, elle humait voluptueusement
Le vin de son triomphe, et s'allongeait vers elle,
Comme pour recueillir un doux remerciement.

Elle cherchait dans l'œil de sa pâle victime
Le cantique muet que chante le plaisir,
Et cette gratitude infinie et sublime
Qui sort de la paupière ainsi qu'un long soupir.

- "Hippolyte, cher cœur, que dis-tu de ces choses?
Comprends-tu maintenant qu'il ne faut pas offrir
L'holocauste sacré de tes premières roses
Aux souffles violents qui pourraient les flétrir?

Mes baisers sont légers comme ces éphémères
Qui caressent le soir les grands lacs transparents,
Et ceux de ton amant creuseront leurs ornières
Comme des chariots ou des socs déchirants;

Ils passeront sur toi comme un lourd attelage
De chevaux et de bœufs aux sabots sans pitié...
Hippolyte, ô ma sœur! tourne donc ton visage,
Toi, mon âme et mon cœur, mon tout et ma moitié,

Tourne vers moi tes yeux pleins d'azur et d'étoiles!
Pour un de ces regards charmants, baume divin,
Des plaisirs plus obscurs je lèverai les voiles,
Et je t'endormirai dans un rêve sans fin!"

Mais Hippolyte alors, levant sa jeune tête:
- "Je ne suis point ingrate et ne me repens pas,
Ma Delphine, je souffre et je suis inquiète,
Comme après un nocturne et terrible repas.

Je sens fondre sur moi de lourdes épouvantes
Et de noirs bataillons de fantômes épars,
Qui veulent me conduire en des routes mouvantes
Qu'un horizon sanglant ferme de toutes parts.

Avons-nous donc commis une action étrange?
Explique, si tu peux, mon trouble et mon effroi
Je frissonne de peur quand tu me dis: "Mon ange!"
Et cependant je sens ma bouche aller vers toi .

Ne me regarde pas ainsi, toi, ma pensée!
Toi que J'aime à jamais, ma sœur d'élection,
Quand même tu serais une embûche dressée
Et le commencement de ma perdition!"

Delphine secouant sa crinière tragique,
Et comme trépignant sur le trépied de fer,
L'œil fatal, répondit d'une voix despotique
- "Qui donc devant l'amour ose parler d'enfer?

Maudit soit à jamais le rêveur inutile
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté!

Celui qui veut unir dans un accord mystique
L'ombre avec la chaleur, la nuit avec le jour,
Ne chauffera jamais son corps paralytique
A ce rouge soleil que l'on nomme l'amour!

Va, si tu veux, chercher un fiancé stupide;
Cours offrir un cœur vierge a à ses cruels baisers
Et, pleine de remords et d'horreur, et livide,
Tu me rapporteras tes seins stigmatisés...

On ne peut ici-bas contenter qu'un seul maître!"
Mais l'enfant, épanchant une immense douleur,
Cria soudain: - "je sens s'élargir dans mon être
Un abîme béant; cet abîme est mon cœur!

Brillant comme un volcan, profond comme le vide !
Rien ne rassasiera ce monstre gémissant
Et ne rafraîchira la soif de l'Euménide
Qui, la torche à la main, le brûle jusqu'au sang.

Que nos rideaux fermés nous séparent du monde,
Et que la lassitude amène le repos!
Je veux m'anéantir dans ta gorge profonde,
Et trouver sur ton sein la fraîcheur des tombeaux!"

Descendez, descendez, lamentables victimes,
Descendez le chemin de l'enfer éternel!
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes,
Flagellés a par un vent qui ne vient pas du ciel,

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage.
Ombres folles, courez au but de vos désirs;
jamais vous ne pourrez assouvir votre rage,
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.

Jamais un rayon frais n'éclaira vos cavernes;
Par les fentes des murs des miasmes fiévreux
Filtrent e en s'enflammant ainsi que des lanternes
Et pénètrent vos corps de leurs parfums affreux.

L'âpre stérilité de votre jouissance
Altère votre soif et roidit votre peau,
Et le vent furibond de la concupiscence
Fait claquer votre chair ainsi qu'un vieux drapeau.

Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l'infini que vous portez en vous!

Charles Baudelaire

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24 avril 2010 6 24 /04 /avril /2010 09:42

Que vous avez d'appas, belle nuit animée!
Que vous nous apportez de merveille et d'amour.
Il faut bien confesser que vous êtes formée
Pour donner de l'envie et de la honte au jour.

La flamme éclate moins à travers la fumée
Que ne font vos beaux yeux sous un funeste atour,
Et de tous les mortels, en ce sacré séjour,
Comme un céleste objet vous êtes réclamée.

Mais ce n'est point ainsi que ces Divinités
Qui n'ont plus ni de vœux, ni de solennités
Et dont l'Autel glacé ne reçoit point de presse.

Car vous voyant si belle, on pense à votre abord
Que par quelque gageure où Vénus s'intéresse,
L'Amour s'est déguisé sous l'habit de la Mort.

Tristan L'Hermite

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24 avril 2010 6 24 /04 /avril /2010 09:38

Ta tristesse inconnue dans tes yeux, si loin dans la foule
et n'y pouvoir porter les paroles des baisers
et tes yeux mes bonheurs, soleils dans la foule
et n'y pouvoir dormir à l'ombre de tes cils et les baiser.

La magie de ta nuit brune et pâle qui demeure
hors mes mains et ma voix et le levier de mes fois
et ce perpétuel présent et ce hier si autrefois
en ce passé sans date où le cercle de tes bras seul demeure.

Et ce cher rêve de ne jamais mourir en toi
et la mémoire du parfum qui ne peut s'abolir en moi
oh vous, tous les instants, toutes les lignes, toutes les joies
baissez vos lèvres à moi, venez dormir en moi.

Gustave Kahn

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24 avril 2010 6 24 /04 /avril /2010 09:33

D'avoir été
trop tôt sevré du lait pur
de la seule vraie tendresse
j'aurais donné
une pleine vie d'homme
pour te sentir
te sentir près
près de moi
de moi seul
seul
toujours près
de moi seul
toujours belle
comme tu sais
tu sais si bien
toi seule
l'être toujours

après avoir pleuré

Léon-Gontran Damas

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