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8 février 2010 1 08 /02 /février /2010 21:07
I

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile:
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.

II

O pâle Ophélia! belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avait parlé tout bas de l'âpre liberté;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étrange bruits;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux!

Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Folle!
Tu te fondais à lui comme une neige au feu;
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton œil bleu!

III

- Et le poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

Arthur Rimbaud
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8 février 2010 1 08 /02 /février /2010 21:02

Ode

Un corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards;
Deux belettes et deux renards
Traversent l'endroit où je passe;
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal;
J'entends craqueter le tonnerre.
Un esprit se présente à moi;
J'ois Charon qui m'appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source;
Un bœuf gravit sur un clocher;
Le sang coule de ce rocher;
Un aspic s'accouple d'une ourse;
Sur le haut d'une vieille tour
Un serpent déchire un vautour;
Le feu brûle dedans la glace;
Le Soleil est devenu noir;
Je vois la Lune qui va choir;
Cet arbre est sorti de sa place.

Théophile de Viau
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8 février 2010 1 08 /02 /février /2010 20:57
Des rires frénétiques, des cris de volupté, des râles extatiques,
de longs soupirs mourants, des sanglots et des pleurs:
idolo del mio cuor, anima mia, mon ange, ma vie,
et tous les mots de ce langage étrange que l’amour délirant invente
en ses fureurs, voilà ce qu’on entend.
l’alcôve est au pillage, le lit tremble et se plaint, le plaisir devient rage;
ce ne sont que baisers et mouvements lascifs;
les bras autour des corps se crispent et se tordent, l’œil s’allume,
les dents s’entrechoquent et mordent, les seins bondissent convulsifs.

Théophile Gautier
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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 22:37
Maître corbeau, sur un arbre perché,
      Tenait en son bec un fromage. 
Maître renard par l'odeur alléché ,
      Lui tint à peu près ce langage: 
      "Et bonjour Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
      Sans mentir, si votre ramage 
      Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois"
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie;
      Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec laisse tomber sa proie.
Le renard s'en saisit et dit: "Mon bon Monsieur,
      Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage sans doute."
      Le corbeau honteux et confus 
Jura mais un peu tard , qu'on ne l'y prendrait plus.

Jean de la Fontaine
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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 22:29
Quand il était adolescent
il vivait dans une ville
qui était une légende
au bord de la mer caraïbe.
Si on voulait on pouvait
se changer en n'importe quoi,
on pouvait être un arbre
qui marche et boit du rhum,
un bœuf qui joue de l'orgue
le dimanche à l'église,
un lion qui rend cocus
tous les notaires de la ville.
Lui, un soir de son adolescence
il était devenu un cheval de course,
il traversait au galop Jacmel
il hennissait et invitait les gens
à venir gambader avec lui dans la rue.
Mais portes et fenêtres restaient fermées.
Soudain une jeune fille est sortie
d'une maison de la place d'Armes:
c'était l'un des trésors de la ville,
elle était en chemise de nuit
et souriait à l'adolescent-cheval.
Quand il arriva auprès d'elle
la jeune fille quitta sa chemise
et sauta sur son dos: il galopa
galopa sans fin dans la nuit
en faisant plusieurs fois le tour de Jacmel.
Il sentait Hadriana toute nue sur son dos
comme le ciel nocturne sent les étoffes
ou comme la terre sent l'herbe au matin
il sentait sa saveur de jeune fille.
Il galopa galopa dans la nuit
avec l'étoile de Jacmel sur son dos,
avec la joie de la ville et toute la douleur
de la ville sur son dos…
Avec ses peurs et
ses haines sur son dos,
il galopa galopa dans la nuit
avec les baisers
et tous les rêves de Jacmel sur son dos.

Au petit matin ils allèrent à la mer
où ils se rafraîchirent longuement,
ensuite ils allèrent à la rivière
pour se quitter le sel du corps.
Plus tard il la déposa chez elle
sous les arbres éberlués de la place.
Quand il reprit sa forme de garçon
il avait les flancs ensanglantés,
il avait d'atroces douleurs aux épaules,
il avait très mal au cuir chevelu,
il resta deux semaines au lit
à regarder s'éloigner son adolescence
avec la plus belle fille de sa vie!

  René Depestre  
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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 22:23
Tu es ma nuit radieuse
nuit sortilège nuit sacrificielle
où le sexe incarne le sang
des hautes luttes passionnelles
où le cœur bat le rappel des rêves
sur des tambours d'ébène

Je suis pirogue d'os et de peau
remontant le cours d'une Amazonie fiévreuse
aux berges peuplées de perroquets
et de toucans criards
de singes hurleurs
parmi les lianes du désir

nous sommes fleurs et flammes voluptueuses
à l'assaut d'un ciel étoilé
où s'écrivent en lettres délirantes
les mots d'amour que nous étouffons
jusqu'à ce que mort nous couve
dans un berceau de douce humanité.

André Chenet
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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 22:17
Ma queue éclatait sous tes lèvres
Comme une prune de Juillet
La plume au vent qu’on taille en rêve
N’est pas plus folle je le sais
Que la volage aux amours brèves

Il me souvient de Félicie
Que je connus le jour de Pâques
Et dont la moniche roussie
S’ouvrait en coquille Saint-Jacques
De septembre à la fin Avril

Il me souvient de la Dona
Qui faisait l’amour en cadence
Et dont la figue distilla
Un alcool d’une violence
Mais je ne vous dit que cela.

Guillaume Apollinaire
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7 février 2010 7 07 /02 /février /2010 22:12
 Y'avait eune fois sur un ormiau perché, un biau grous corbeau - eune couâ, comme on dit don - qui tenait dans sa pèque un fromaige de bique qu'il avait volé dans n'un penier ousque la fermière le fésait égoutter.
 Ben content qu'il était, i s'préparait à le manger quand i vit un r'na couché au pied de l'ormiau. C'ti là, à la vue du fromaige, se sentit en appétit et réfléchit qu'ment qui s'y prendrait ben pour l'y soutirer. Comme le r'na est filoux d'sa nature i s'mint à l'alouser.
 "Ah! bonjou, Mossieu le Corbeau qui lui dit en s'assisant sus son derrière à seule fin de ben le voi, j'n'vous avais jamais si ben vu de près, savez-vous qu'vous êtes trè ben habillé, ben mieux que les pies et les racaux. Ah! vous êtes heureux vous de pouvoi vous promener comme ça dans la fouillée de la forêt à toute heure! Auprès de mai qui n'peut sortir qu'la nuit, enfermé qu j'sis avec ma famille dans mon terrier et exposé à être estourbi à tout moment, depuis que les femmes al ont la manie de s'entordre le cou avec nos piaux, de quai qu'vous diriez à ma place?
 Le Corbeau ne réponnit point.
 Le R'na poursuivit: Ah! j'vous envie. Vous avez un air noble avec votre piumage r'luisant comme un vernis et vos yeux bleus couleur du temps.
 Le Corbeau n'disait toujours ren.
 Et avec ça, vous d'vez avai eune jolie voix.
 Ah, si voute ramaige ressemble à votre piumaige, je l'dis sans compliment, vous êtes le roi de ces bois!
 Ah! dame à ces mots, le Corbeau ne se sent pus de joie, il ouvre la pèque pour chanter et laisse chuter sa proie.
 Le bon Renard qu'avait la goule ouverte la r'cépit et en s'en retournant dans son terrier, i dit au Corbeau tout penaud:
"Apprenez, Monsieur Corbeau, que tout flatteux i vit aux dépens de c'ti là qui l'écoute et c'qui vous arrive là, vaut ben un fromaige sans doute!

Déan-Laporte
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5 février 2010 5 05 /02 /février /2010 22:44
Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d'encens qui remplit une église,
Ou d'un sachet le musc invétéré?

Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent le passé restauré!
Ainsi l'amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise.

De ses cheveux élastiques et lourds,
Vivant, encensoir de l'alcôve,
Une senteur montait sauvage et fauve,

Et des habits, mousseline ou velours,
Tout imprégnés de sa jeunesse pure,
Se dégageait un parfum de fourrure.

Charles Baudelaire
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5 février 2010 5 05 /02 /février /2010 22:40
On a perdu la clé des champs!
Les arbres, libres, se promènent,
Le chêne marche en trébuchant,
Le sapin boit à la fontaine.

Les buissons jouent à chat perché,
Les vaches dans les airs s'envolent,
La rivière monte au clocher
Et les collines cabriolent.

J'ai retrouvé la clé des champs
Volée par la pie qui jacasse.
Et ce soir au soleil couchant
J'aurai tout remis à sa place.

Jacques Charpentreau
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